Chroniques

Faire peur ou être aimée : l’Amérique face à un dilemme émotionnel

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L’Oncle Sam ne sait pas s’il doit rechercher de l’affection ou contraindre les autres États à suivre sa propre ligne. Les élites américaines vont devoir trancher, estime Maxime Soutchkov. Analyse.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Maxime Soutchkov, directeur de l’Institut de recherches internationales.

 

Les présidentielles américaines ne sont pas qu’un événement central de la vie sociale et politique du pays, mais aussi une période pour réfléchir à des sujets majeurs, à savoir : où va l’Amérique, quelle est sa place dans le monde, quelle place devrait-elle occuper ? De ce point de vue, les discours des candidats l’un sur l’autre sont révélateurs. Biden et les démocrates ne ratent pas une occasion de dire aux électeurs que sous Trump, les Américains auront honte d’être représentés par un psychopathe, et que les alliés du pays s’en écarteront comme d’un lépreux. Trump et les républicains, de leur côté, insistent sur le fait que les citoyens auront honte d’être représentés par un vieillard sénile que personne ne respecte plus dans le monde.

Les vieux renards de la politique extérieure américaine observent la situation avec inquiétude, leurs propos étant généralement très mesurés et en même temps sans équivoque. Une revue clé de la politique extérieure américaine, Foreign Affairs, a récemment publié une interview de Robert Gates, ancien directeur de la CIA, ex-ministre de la Défense, intitulée «Quelqu’un a-t-il encore peur des États-Unis ?».


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D’un côté, Robert Gates, âgé de 80 ans, essaye d’encourager ses concitoyens en prétendant que la flotte américaine serait plus efficace que les forces navales de la Chine, que la Russie est plus faible qu’elle ne veut le montrer, qu’il n’y a jamais eu d’union entre Pékin et Moscou et qu’il n’y en aurait jamais. De l’autre côté, Gates qualifie les États-Unis de puissance handicapée, il se plaint des désaccords entre les partis, de l’incertitude régnant dans le pays, ainsi que des inquiétudes des alliés de l’Amérique dans le contexte d’une éventuelle victoire de Trump. Tout est sens dessus dessous.

«Nous ne sommes plus craints, donc nous ne sommes plus respectés»

Spécialiste de l’Union soviétique parvenu au poste de directeur du principal service de renseignement des États-Unis sous George Bush, chef militaire sous George W. Bush, ayant été entre ces deux postes président de l’Université A&M du Texas, une des principales universités du pays, Gates a toujours été un étranger parmi les siens. Et pourtant, il s’est toujours élevé à la défense des intérêts de l’establishment dans les moments sombres pour l’Amérique. Le voilà aujourd’hui, alors que la politique américaine a pris des allures de bouffonade débridée, en train d’implanter dans les têtes des politiciens une idée qu’il considère cruciale : «Nous ne sommes plus craints, donc nous ne sommes plus respectés.»

À la fin des années 1990, lorsque Washington fêtait sa victoire sur l’URSS et proclamait la «fin de l’histoire» en croyant que le monde allait enfin se ranger sous les drapeaux de la démocratie libérale et de l’économie de marché, Gates a pris les rênes de la CIA. La tâche qui lui incombait à l’époque était de profiter au maximum du «moment unipolaire», ce qui impliquait de prendre les devants face aux concurrents, de transformer les ennemis d’hier en alliés et les alliés en amis, enfin de faire de tous des vassaux. Le «soft power», autre concept à la mode à l’époque, qui domine encore aujourd’hui dans les esprits de nombreux spécialistes russes en politique internationale, était là pour justifier la domination générale des États-Unis par sa culture attirante (notamment la musique, le cinéma et l’éducation). Personne n’essayait de le contester, d’autant plus que les cassettes vidéo de Rambo ou de Terminator, ainsi que les files d’attente au tout premier McDonald’s de Moscou, démontraient clairement la justesse de ce cliché idéologique. La pop culture américaine rendait le monde extrêmement perméable aux idées et aux intérêts américains. L’objectif des différentes structures et notamment de celle présidée par Gates était de faire aimer l’Amérique au maximum de gens (et au plus possible de politiciens), de leur faire croire au mythe du «rêve américain», de le leur faire adopter comme credo.

Le tournant yougoslave

Au fur et à mesure que s’éteignait ce «moment unipolaire» et que la situation internationale se compliquait pour les États-Unis, il devenait plus difficile de se faire aimer. Surtout après les bombardements de la Yougoslavie. La brève période de compassion mondiale pour les Américains, après les attentats du 11 septembre 2001, a vite laissé la place à l’indignation provoquée par leur invasion en Irak. Même leurs alliés les plus proches au sein de l’OTAN n’ont pas approuvé l’intervention. Dans l’espace soviétique, des tentatives de révolutions de couleur pour remplacer au pouvoir ceux qui n’aimaient pas suffisamment l’Amérique par ceux qui l’aimeraient passionnément, ont remporté des succès ponctuels tout en aggravant les différends avec Moscou.


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Le discours de programme prononcé par Vladimir Poutine à la Conférence de Munich en 2007 a marqué la fin de la romance avec les États-Unis, non seulement pour la Russie, mais pour nombre d’autres pays. Une majorité des États restaient toujours ouverts à la culture et à l’enseignement américains, mais se montraient de plus en plus critiques sur la politique de Washington. Lors des moments de crise, le mécontentement vis-à-vis de l’État américain aboutissait à des attaques contre ses symboles culturels : vitres cassées des restaurants McDonald’s, drapeaux américains brûlés et ainsi de suite.

Peu à peu, l’effet du soft power américain a été réduit à néant par le recours au hard power. Le gouvernement et les fondations proches du gouvernement ont investi des milliards dans des programmes de diplomatie publique et d’échanges d’étudiants, dans le développement de la société civile et des médias, mais les opérations de force effectuées par Washington, ont gommé tous les efforts visant à conquérir les cœurs des peuples du globe.

C’est à cette époque-là que Robert Gates revient à Washington en chef du Pentagone. Il fallait sauver l’administration de Georges W. Bush face au fiasco en Afghanistan et en Irak. L’équipe menée par le vice-président Dick Cheney souhaitait moins s’assurer l’amour du monde entier qu’elle se laissait guider par le principe de Théodore Roosevelt – «Une fois [l’ennemi] tenu par les couilles, son esprit et son cœur vous suivront sans faille». Le terme «néoconservateurs» s’est répandu pour désigner aujourd’hui plutôt les républicains, alors qu’il s’agit d’un large groupe dans l’establishment qui comprend des représentants de plusieurs partis et qui jouit d’une idéologie et d’une forte influence. Pour eux, le «faire peur» prévaut inconditionnellement sur le «se faire aimer».

«Parle doucement et tiens un gros bâton»

L’élection d’Obama a fait osciller la balance idéologique, la priorité n’étant plus de faire peur, mais d’imposer l’amour. La Maison Blanche est de nouveau devenue le foyer des administrateurs de l’époque de Clinton, alors qu’Obama parlait d’un «engagement», d’une nouvelle mondialisation et de l’espoir d’une renaissance démocratique. Gates a été le seul ministre à se maintenir au gouvernement sous le président démocrate. En effet, lors de sa campagne présidentielle, Obama avait promis d’en finir avec les guerres en Irak et en Afghanistan et le ministre pragmatique qui convenait aux deux partis semblait être la meilleure candidature dans ce contexte. Theodore Roosevelt, déjà cité, avait une bonne maxime pour cela : «Parle doucement et tiens un gros bâton.»


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Obama s’occupait de la première partie, Gates était responsable de la deuxième. Le «gros bâton» n’a cependant guère aidé : à la fin des années 2010, des forces pro-iraniennes menaient le bal dans un Irak fragmenté, alors que les tentatives d’en finir avec les talibans en Afghanistan en augmentant le contingent américain et en allouant des sommes exorbitantes aux pouvoirs en place à Kaboul n’ont pas porté de fruits.

Coopérer là où c’est rentable et saboter ailleurs

Gates n’est certainement pas à blâmer personnellement, mais sa conviction qu’un ennemi effrayé est la meilleure mesure du succès a fait plus de mal que de bien. Le dernier accord de cette politique a sonné en Libye en 2011, où Gates a exercé le commandement des forces américaines lors de leur invasion pour aider les rebelles à renverser Mouammar Kadhafi. Deux mois après, le 1er juillet 2011, Obama a remis à Robert Gates la décoration suprême américaine, la médaille présidentielle de la Liberté. Depuis, la politique américaine a basculé plusieurs fois entre la volonté de faire peur au reste du monde et les tentatives de regagner son «amour».

Donald Trump, remplaçant d’Obama, cherchait moins à forcer le monde à craindre l’Amérique qu’il ne faisait peur lui-même par son excentricité et son imprévisibilité. Biden a commencé par des tentatives de regagner si ce n’est l’amour, du moins la sympathie vis-à-vis des États-Unis. C’est ce qu’ont laissé penser plusieurs de ses initiatives. Pourtant, le nombre de problèmes internationaux accumulés au moment de son élection, s’ajoutant à son principe cynique de «marcher et mâcher du chewing-gum en même temps» (c’est-à-dire coopérer là où c’est rentable et saboter ailleurs), ont servi de limites naturelles à sa politique. Depuis le début de l’opération militaire russe en Ukraine, les États-Unis sont revenus au mode «alarmiste». Le thème de l’amour de l’Amérique semble désormais dirigé vers le pays lui-même. Depuis une dizaine d’années, les États-Unis ne s’aiment plus eux-mêmes, ils sont en train de briser leur identité et leur récent passé, surtout la culture et la politique. La nostalgie de l’époque de la «grande» Amérique exige des efforts pour regagner cette grandeur coûte que coûte.

Ne pas s’attirer la haine, enseignait Machiavel

L’État doit-il être fondé sur la peur ou sur l’amour ? C’est l’une des questions clés de la théorie et de la pratique du gouvernement. Dans un traité du XVIe siècle intitulé Le Prince, le penseur et homme politique florentin Nicolas Machiavel affirmait : «On peut répondre que le meilleur serait d’être l’un et l’autre [aimé et craint]. Mais, comme il est très difficile que les deux choses existent ensemble, je dis que, si l’une doit manquer, il est plus sûr d’être craint que d’être aimé.» Cette maxime a été adoptée par de nombreux souverains à différentes périodes de l’histoire. Mais certains ont eu des ennuis. Ce sont ceux qui avaient oublié que Machiavel ajoutait une mise en garde : «Le prince qui veut se faire craindre doit s’y prendre de telle manière que, s’il ne gagne point l’affection, il ne s’attire pas non plus la haine.»




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